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Notre analyse

01 - What's the problem ?

Le phénomène des plateformes collaboratives

 

On assiste, depuis une dizaine d’années, à une véritable déferlante de plateformes dites « collaboratives », principalement dans les grandes villes, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, mais aussi en Région de Bruxelles-Capitale. Quelle plus-value cette nouvelle activité ambitionne-t-elle d'apporter ? Elle est de rendre possible, grâce au numérique, la conclusion de transactions entre des acteurs d’un même marché qui ne se connaissent pas physiquement ou n’entretiennent que des liens très occasionnels, de permettre leur « collaboration », à savoir la conclusion d’une transaction ayant pour objet l’utilisation temporaire d’un bien ou service en principe mis à disposition par une personne privée (1)

 

Ainsi, pour prendre les exemples les plus connus, une personne privée met à disposition d’autres personnes privées sa voiture et son temps disponible pour effectuer un déplacement (Uber). Ou une personne privée met à disposition d’autres personnes privées son appartement quand elle ne l’occupe pas elle-même (AirBnB). Ou encore, une personne privée met à disposition d’autres personnes privées son vélo et son temps disponible pour leur livrer des plats préparés par un restaurant (Deliveroo). Dans tous ces cas, la théorie veut que la plateforme numérique ne fait qu’organiser la rencontre entre celle ou celui qui recherche un service (se déplacer d’un point à un autre dans une ville, occuper temporairement un appartement dans telle ville à des dates déterminées, se faire livrer un plat préparé venant de tel restaurant à tel moment) et celle ou celui qui est en mesure de proposer le service en question.

 

Dans ces exemples, la plateforme joue donc uniquement le rôle d’intermédiaire et prend finalement très peu de risque.

 

Il existe des modèles où le risque financier pris par la plateforme est beaucoup plus important. Dans ces modèles, la plateforme investit directement dans des biens, dont elle reste propriétaire, et dont elle organise le partage entre plusieurs usagers. Ainsi en est-il des plateformes qui acquièrent des véhicules à partager, qu’il s’agisse de voitures, de trottinettes ou de vélos. Les usagers utilisent la plateforme pour pouvoir trouver et utiliser le bien et, complémentairement, d’autres acteurs « collaborent » pour, par exemple, entretenir ou recharger les engins. On sort ici quelque peu du modèle de l’économie collaborative tel que nous l’avons défini en introduction (et de la définition de la Commission européenne), mais on reste dans un concept d’économie de partage organisé par une plateforme numérique.

 

Quelle est la valeur ajoutée sociétale que les plateformes collaboratives revendiquent?

 

Cette ambition de « partage » amène ces plateformes à se présenter parfois comme des acteurs vertueux sur le plan environnemental. Favoriser le partage de voitures existantes, ou mettre sur le marché quelques voitures et maximiser leur partage semble effectivement plus rationnel que laisser chacun acheter sa voiture et l’utiliser lui seul à peine quelques heures par semaine.

 

Elles se targuent aussi d’avoir une valeur ajoutée sociale, dans la mesure où elles offrent la possibilité, pour des prestataires comme des livreurs à vélo ou des chauffeurs occasionnels de voiture par exemple, de se ménager des revenus à titre complémentaire (ou même à titre principal) sans que l’absence de formation ou d’expérience professionnelle ne constitue un frein.

 

Enfin, sur le plan économique, leur discours met en avant une diminution drastique du coût d’accès à des biens mobiliers ou immobiliers dont l’usage est occasionnel (exemples : résidence secondaire, vélo électrique, …). Cette diminution des coûts résulte de la maximalisation de l’utilisation de biens grâce à leur accès temporaire démultiplié par des usagers qui sont donc dispensés d’investir dans lesdits biens.

 

Quels sont les atouts des plateformes collaboratives pour séduire leurs parties prenantes?

 

Les usagers que nous sommes sont a priori friands des solutions apportées par ces plateformes. Car, oui, il faut le reconnaître, prendre un Uber ou réserver un AirBnb pour les vacances peut s’avérer bien pratique, surtout quand on court du matin au soir et qu’on a peu de temps pour organiser sa mobilité ou ses vacances. Les sites ou les applications proposées sont en plus particulièrement bien pensés, « user-friendly », et permettent d’aller à l’essentiel. Il y aussi, dans cette nouvelle vague de solutions collaboratives, quelque chose d’éminemment attractif, d’innovant, qui donne envie d’essayer. Combien d’entre nous ne sont pas montés sur une trottinette électrique, « juste pour voir » ?

 

Ces plateformes peuvent également être attractives pour les personnes qui veulent se ménager des revenus de façon moins conventionnelle, en se muant en livreurs à vélo ou en chauffeurs de limousine. La promesse d’un minimum de barrières à l’embauche et d’autonomie maximale dans l’exécution des prestations en fait rêver plus d’un. Il en va de même pour les propriétaires d’un bien immobilier qui, par l’intermédiaire d’une plateforme de mise en location de leur bien, s’ouvrent les portes d’un marché international de vacanciers ou de voyageurs d’affaires.

 

Enfin, les plateformes collaboratives parviennent à mobiliser l’intérêt d’investisseurs spéculatifs, qui sont prêts à prendre des risques très élevés en vue de faire fructifier leur capital. Car les perspectives de rendement sont à la hauteur de la prise de risque. Si, au départ, plusieurs acteurs se disputent un marché à coup de développement informatique et de stratégies marketing audacieuses, une seule parviendra en définitive à dominer le marché. Et, pour celle-là, vu la taille du marché créé, les perspectives de gain promettent d’être énormes. Du coup, les investisseurs qui auront misé sur le bon cheval rafleront l’essentiel de ces bénéfices.

En quoi ces plateformes sont-elles collaboratives?

 

Le terme collaboratif renvoie à une forme de transaction qui s’effectuerait directement et sans intermédiaire entre des personnes qui n’ont pas pour habitude de travailler ensemble, et ce pour trois raisons qui peuvent être cumulatives : parce qu’ils ne se connaissent pas, parce que la complémentarité de leurs besoins respectifs est très fugace, parce que la transaction qui les unit est très occasionnelle.

 

Prenons un exemple : vous voulez rentrer le plus rapidement possible chez vous après une soirée dans le centre-ville, à laquelle vous vous êtes rendus à pied. Uber vous permet de trouver en quelques secondes un chauffeur que vous ne connaissez pas, qui passe à proximité de l’endroit où vous vous trouvez (ce qui ne va durer que quelques minutes, voire secondes), et aux services duquel vous ne ferez peut-être plus jamais appel même si vous en êtes satisfait, car vous ne sortez que rarement le soir dans le centre-ville. Il y a du vrai là-dedans ; la facilitation de ce genre de transactions via des outils numériques nous donne l’impression d’entrer dans une nouvelle ère, où nous procédons régulièrement à des échanges économiques avec des personnes avec lesquelles nous ne serions jamais entrés en contact auparavant, et dans un cadre qui semble beaucoup moins formel que lorsqu’on passe par les services d’un commerçant, d’un petit indépendant ou d’une entreprise classique.

 

Mais à y regarder de plus près, s’agit-il vraiment là d’une transaction économique d’une nouvelle nature ? Ce n’est pas sûr. Quand hier, un propriétaire d’un appartement à la côte souhaitait l’offrir à la location pour de courts séjours, il faisait passer le mot autour de lui, voire passait une petite annonce dans le journal. C’était peut-être moins efficace, mais ça fonctionnait quand même. Et s’il voulait intensifier les locations, il passait par un intermédiaire professionnel, à savoir une agence immobilière. Qu’y a-t-il de différent dans ce modèle-ci ? Pas les acteurs de la transaction (un propriétaire et un vacancier occasionnel). Pas l’absence d’intermédiaire, car, quoiqu’elles s’en défendent, le principal service rendu par les plateformes, c’est de servir d’intermédiaire.

 

La vraie différence réside donc davantage dans la manière utilisée par les plateformes pour se faire rencontrer l’offre et la demande. Ce qui les caractérise est donc un service d’intermédiation de très grande efficacité grâce à des programmes informatiques sophistiqués (exploitation des algorithmes, etc.), et l’attention apportée à l’instauration d’une forme de confiance entre acteurs qui ne se connaissent pas, le tout débouchant sur un volume accru de transactions.

Les plateformes collaboratives tiennent-elles les promesses faites à leurs parties prenantes?

 

Pour les usagers auxquels les services sont principalement destinés, la réponse est assez logiquement oui, car le sort de la plateforme dépend essentiellement de leur satisfaction. Tant que plusieurs plateformes se concurrenceront durement pour acquérir une position dominante sur le marché, il est fort probable que les usagers continueront à obtenir un bon niveau de service pour un prix intéressant. Ainsi, les passagers Uber et les consommateurs de repas livrés par Deliveroo n’ont pas de souci immédiat à se faire. Par contre, lorsqu’une plateforme se sera imposée et que tous les acteurs présents sur ce marché seront captifs, il n’est pas inimaginable que ces usagers devront faire face à une augmentation des prix ou, dans le cas d’AirBnB, à une augmentation de la commission payée par les propriétaires, sans plus disposer d’autre alternative sur le marché.

 

Pour les personnes qui valorisent leur travail à travers ce genre de plateforme, le constat est beaucoup plus mitigé… De nombreux témoignages déconstruisent le mythe du travailleur de plateforme qui serait bien payé et travaillerait dans des conditions idéales (2). La réalité ressemble davantage à une rémunération-plancher, avec une protection sociale proche de zéro. Les premiers se voient comme des salariés de cette entreprise, avec les avantages qui en découlent, tandis que les plateformes veulent à tout prix que ceux-ci soient considérés comme des indépendants, avec un report chez eux de toute une série de coûts (équipements de travail, frais de téléphonie, etc.) ou de risques sociaux (pension, arrêt maladie, accident, etc.). Ces divergences de vues sont amenées à être tranchées dans certains cas par les tribunaux, mais le débat est loin d’être terminé.

 

En Belgique, la question du statut des coursiers à vélo de Take-Eat-Easy et Deliveroo (livraison de repas préparés à domicile) a défrayé la chronique en 2016-2017. La coopérative Smart (entreprise partagée fondée sur un principe mutualiste de solidarité s’efforçant d’articuler autonomie et protection sociale du travailleur, propose à de travailler sous contrat de travail) a signé en avril 2016 avec Take Eat Easy et Deliveroo un protocole d’accord dans le but de garantir aux coursiers affiliés à la coopérative et qui roulaient pour ces deux plateformes des conditions correctes en termes de barème salarial, de protection et de sécurité. Mais l’accord fit long feu : en juillet 2016, Take Eat Easy tombait en faillite ; en octobre 2017, Deliveroo annonçait sa décision de ne plus recourir aux coursiers embauchés sous contrat de travail par la coopérative Smart (la formule salariat lui semblait sans doute trop risquée).

 

Du côté des investisseurs, il y a également pas mal de casse. Nous venons d’évoquer la faillite en Belgique de la plateforme Take-Eat-Easy. Et quand on regarde les plateformes les plus emblématiques, on constate qu’il aura fallu dix ans d’investissement massif pour qu’AirBnB arrive enfin à dégager une année bénéficiaire (ce qui ne veut pas dire que toutes les pertes du passé ont été épongées). C’est donc un chemin difficile, à haut risque, mais potentiellement très rémunérateur, en grande partie parce qu’une fois les investissements réalisés, les coûts unitaires pour une transaction diminuent à mesure que le volume des transactions augmentent. Cette économie d’échelle est par ailleurs accentuée par le fait que l’essentiel des transactions est le fruit du travail d’acteurs externes à la plateforme, qui ne lui coûtent donc rien. En outre, la plateforme peut compter, du côté des recettes, sur le prélèvement de commissions, ou sur la revente de données personnelles à des fins publicitaires. Les marges dégagées sont donc potentiellement énormes.

 

Plus globalement, qu'est-ce que la société y gagne?

 

  • Sur le plan environnemental

La question mérite d’être posée. Quand on voit circuler sur internet des images de flottes entières de vélos partagés déversées dans des décharges chinoises à ciel ouvert, on peut être dubitatif. De même quand on apprend que la durée de vie d’une trottinette électrique est de quelques semaines à peine, en raison du vandalisme ou des mauvais traitements que leur font subir les utilisateurs.

 

On a d’autant plus le droit de s’interroger que les besoins auxquels ces plateformes proposent d’apporter satisfaction ne sont pas toujours fondamentaux. Si on prend l’exemple des trottinettes, le besoin qui est le plus rencontré ne semble pas celui de la mobilité quotidienne, qui requiert une forme de prévisibilité, mais plutôt d’usage récréatif pour des touristes de passage ou pour des usagers très occasionnels.

 

Et donc, bien que l’économie collaborative ouvre des perspectives prometteuses en encourageant l’usage de biens plutôt que leur possession, la réalité semble souvent toute autre. Des chercheurs s’étant penchés sur la question de l’impact environnemental de l’économie collaborative mettent en effet en garde : « de nombreux mécanismes contre-intuitifs peuvent aboutir au résultat inverse ». L’efficacité environnementale n’est en effet pas toujours recherchée de manière prioritaire par les propriétaires de plateformes qui cherchent avant tout la maximisation de leur profit. L’économie collaborative peut par conséquent contribuer au phénomène d’hyperconsommation ou privilégier l’usage de la voiture au détriment des transports en commun.

 

  • Sur le plan social

Même si aujourd’hui le travail collaboratif ne représente qu’une part infime du marché du travail, il préfigure peut-être d’une réalité plus large, avec des effets indirects potentiellement dévastateurs.

 

L’avènement d’AirBnB a par exemple un effet indéniable sur le secteur hôtelier, notamment en termes d’emploi. D’une part, la mise en concurrence amène les chaînes d’hôtellerie à rationaliser encore davantage leurs coûts, et donc à revoir les conditions de travail de leur personnel à la baisse. Et, d’autre part, si on porte un regard prospectif sur ce qui est en train de se jouer, AirBnB a la capacité de remplacer des emplois salariés et stables par des mini-jobs, aux conditions de travail beaucoup plus précaires. Ainsi, à Bruxelles, s’est mis en place une plateforme « low-cost » en vue se faire rencontrer des propriétaires de logements AirBnB et du personnel disposé à effectuer le ménage dans ces logements. On se doute que les conditions ne doivent pas être royales.

 

Mais, dira-t-on, faut-il s’en formaliser ? Après tout, l’histoire du capitalisme est marquée par une certaine permanence, la reproduction d’un schéma inégalitaire entre les tenants du capital et ceux de la force de travail, et on pourrait se dire que nous assistons aujourd’hui à une nième mutation sociotechnique de l’économie de marché et à un simple déplacement de cette tension sur un nouveau terrain de jeu. On pourrait se dire que les syndicats, par exemple, vont rentrer dans la danse, et porter les revendications des travailleurs de plateforme, jusqu’à ce que le législateur soit amené à remettre de l’ordre et à leur garantir des conditions de travail décentes.

 

Certes, mais il convient de souligner que le grand changement amené par les plateformes numériques est la fragmentation de la force de travail. Chacun des intervenants agit pour son propre compte, et est même mis en situation directe de concurrence avec ses pairs. Chaque livreur ou chaque chauffeur se bat, et c’est logique, pour effectuer le maximum de courses et, si possible, aux heures ou dans les endroits où elles seront le plus rémunératrices. Il est dès lors très compliqué pour des acteurs comme les syndicats de s’immiscer dans ces relations « collaboratives » et de proposer leurs services de représentation et de défense des intérêts collectifs.

 

En attendant, certains collectifs essaient de dépasser leurs intérêts individuels et de s’auto-organiser. Mais ils se heurtent à un obstacle culturel de taille, presque paradoxal : les travailleurs de plateforme ne sont pas nécessairement en demande de rendre leur cadre de travail plus formel. Cela irait à l’encontre de la perception qu’ils ont encore aujourd’hui de l’espace de travail offert par les plateformes : un espace de liberté, à la marge de la société classique.

 

Il y a donc une vraie question à se poser dès aujourd’hui quant à l’évolution nécessaire et proactive de la législation sociale pour clarifier le statut du travailleur de plateforme et lui garantir des conditions de travail décentes. Si nous ne faisons rien, nous risquons de voir basculer toujours davantage d’activités économiques dans cette approche d’intermédiation numérique efficace proposée par les plateformes collaboratives, et d’assister à une dégradation majeure des conditions de travail dans les secteurs concernés.

 

  • Sur le plan économique

D’un côté, le fait que les plateformes collaboratives nous font davantage passer dans une logique de location/usage plutôt que de possession permet dans certains cas de diminuer les coûts de certaines de nos activités. Il y aurait donc une forme de rationalité économique, qu’on pourrait voir sous un angle positif, et qui se traduit en une augmentation du pouvoir d’achat ou une diminution de notre besoin de revenus pour satisfaire des besoins de base.

D’un autre côté, cette « amélioration » de notre condition de vie n’est pas sans poser de multiples questions ayant trait à l’équité, voire à l’éthique.

Car ce « progrès » est porté par des acteurs qui tendent à esquiver les normes réglementaires ou éthiques imposées aux acteurs du marché sur les territoires où elles opèrent. Profitant de failles ou de flous législatifs, ces plateformes introduisent dès lors une forme de concurrence déloyale dans des secteurs où d’autres acteurs doivent se conformer à des règlementations strictes (par exemple les chauffeurs de taxi ou les exploitants d’hôtels). Est-ce là une éthique souhaitable pour le développement économique dont nos sociétés ont besoin ?
Que dire, bien entendu, du sort des travailleurs de plateforme qui n’ont en général droit qu’à une rémunération symbolique et dont la protection sociale est inexistante ? Au-delà des questions d’éthique et d’équité que cela soulève, l’accroissement des inégalités est-il vraiment propice au développement économique ?


Que dire également du taux de commissionnement pratiqué sur nos transactions « collaboratives » par ces plateformes dont nous devenons progressivement captifs, ou de la revente par leurs soins de nos données personnelles ? Est-ce équitable ? Est-ce éthique ?

 

Enfin, évoluer vers des marchés dominés par des plateformes en position quasi-monopolistiques, est-ce souhaitable ? D’une part, nous perdons en liberté de choix, mais nous devenons également otages des pratiques de ces plateformes. D’autre part, nous permettons à ces acteurs, et aux investisseurs qui sont derrière, d’accéder à une puissance économique inédite, d’ampleur internationale. À nouveau, est-ce souhaitable ? N’est-ce pas faire courir à nos démocraties une forme de risque ?

 

En définitive, le plus grand danger n’est-il pas d’entrer sans s’en rendre compte, et par une toute petite porte, dans ce nouveau monde ?

Car que se passe-t-il quand nous commandons une boîte-repas sur une plateforme qui fait livrer des plats prêts à manger? Nous trouvons cela bien commode. Puis, nous devenons dépendants, nous modifions notre organisation quotidienne en fonction. Et nous nous étonnons lorsqu’on nous facture des frais de livraisons supplémentaires. Notre perception quant à la valeur réelle des choses et du travail se modifie. On n’intègre pas dans le prix le travail nécessaire, exactement de la même façon que le coût réel des ressources naturelles n’a pas été, historiquement, intégré au coût des produits manufacturés. On prend des habitudes, dont il sera éminemment difficile de se défaire.

 

(1) La Commission européenne a défini l’économie collaborative comme suit : « Modèles économiques où des activités sont facilitées par des plateformes collaboratives qui créent un marché ouvert pour l’utilisation temporaire de biens et de services souvent produits ou fournis par des personnes privées. » (COMMISSION EUROPEENNE (CE) : Un agenda européen pour l’économie collaborative, COM (2016) 356)

(2) Voir par exemple, Ch. CHARLOT : Ubermize me : l’économie collaborative entre promesses et mensonges, Racine, 2016.

(3) En Grande-Bretagne, l’Employment Appeal Tribunal de Londres a confirmé par une décision du 10.11.2017 que les chauffeurs d’Uber exerçant pour la plateforme devaient être considérés comme des salariés sous contrat d’emploi. En France, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la requalification en contrat de travail d'un contrat liant un livreur autoentrepreneur à la plateforme collaborative Take Eat Easy. De même, dans un arrêt du 04.03.2020, elle a décidé de requalifier en contrat de travail la relation contractuelle entre Uber et l’un de ses chauffeurs.

(4) Smart décidera d’assumer le paiement des rémunérations dues au moment de la faillite aux coursiers affiliés à la coopérative, rémunérations dont, par hypothèse en raison de la faillite, Take Eat Easy n’était plus en mesure de payer les factures à Smart. Il s’agissait de quelque 340.000 euros de charges en pure perte pour Smart. Maxime Dechesne, directeur opérationnel de Smart déclarera que Smart ne rémunère pas son capital et que « ses résultats positifs servent uniquement à développer ses services aux freelances et à constituer des réserves destinées à couvrir les risques, sans rien céder sur la protection sociale de ces travailleurs. La ‘facture’ que nous laisse Take Eat Easy n’est pas mince, mais n’entrave en rien la solidarité continue de nos membres. » Il ajoutera que « la « nouvelle économie » se trompe en croyant qu’elle bâtira sa réussite économique sur des emplois « kleenex ». Cette économie n’a une chance d’être très porteuse d’avenir et de progrès qu’à la condition de s’intéresser aux nouvelles formes d’une protection sociale étendue, avec la même énergie qu’elle consacre aux nouvelles manières de faire des affaires ».

(5) Chemin difficile, à haut risque, effectivement : voir par exemple les déboires d’Uber lors de son entrée en bourse (mai 2019). Sa capitalisation boursière reste actuellement très en-dessous des espoirs initiaux (actuellement entre 65 à 70 milliards de dollars, alors que les espérances la situaient entre 100 et 120 milliards).

(6) A. Acquier, V. Carbone et D. Demailly « L’économie collaborative est-elle source de progrès environnemental ? », La Tribune, 30 juin 2016. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-economie-collaborative-est-elle-source-de-progres-environnemental-583472.html

(7) Pour prendre un exemple, une étude réalisée en 2016 aux États-Unis tente de mesurer l’impact économique d’Airbnb dans l’État du Texas. Les auteurs estiment qu’à Austin, où le déploiement d’Airbnb est le plus important, l’impact sur les revenus hôteliers se situe autour d’un manque à gagner allant de 8 à 10 %.( G. Zervas, Davide P. Marshall, J. W. Byers, The Rise of the Sharing Economy: Estimating the Impact of Airbnb on the Hotel Industry, http://people.bu.edu/zg/publications/airbnb.pdf).
En France, axia-consultants estiment que, compte tenu de l’offre de logements Airbnb en région parisienne, on peut estimer, si toutes ces offres étaient disponibles 365 jours par an (en se fiant aux statistiques des enquêtes INSEE de la fréquentation hôtelière, hors restauration : 1 emploi est généré par un peu moins de 3 chambres disponibles), qu’entre 14 000 et 15 000 emplois seraient nécessaires pour gérer ce parc et échapperaient donc au statut de salarié comme à la protection de la Convention Collective Nationale des HCR. Et autant de cotisations sociales qui échappent aux caisses. (https://axia-consultants.com/2015/09/19/airbnb-les-employes-de-lhotellerie-doublement-menaces/)

(8) Voir par exemple la fédération des entreprises de cyclologistique récemment créée en Belgique, Belgian Cycle Logistics Federation (BCLF) qui s’est donné la mission suivante : « The BCLF has the mission to promote cycle logistics in Belgium. At the same time, it defends the principles of the social, circular and local economy, the place of bike and cargo bikes in our cities and fair employment policies. »

What's the solution?

Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de « plateformes collaboratives coopératives » dans lesquels l’outil numérique est mis au service d’une amélioration réelle du bien-être de tous les usagers de la plateforme et pas de la maximisation des profits de quelques-uns...